ANIMATIONS DE RUE ET ACCESSIBILITÉ SOCIALE

« Mais Manu, on vous voit plus sur le quartier ! On n’est plus courant des activités que vous faites ! Qu’est-ce qui se passe ?! » S, 14 ans

Ce jour-là, cette interpellation a fait mouche. En effet, je prenais conscience que cela faisait des semaines pour ne pas dire des mois que nous n’étions pas venus rejoindre les enfants, les jeunes et leurs familles, in situ, aux pieds de leur immeuble. Oserais-je dire chez eux…

Nulle surprise dans ce constat puisqu’en équipe nous avons priorisé l’animation du centre de loisirs dans nos nouveaux locaux les mercredis après-midi. Cependant, cette interpellation a pris un relief inattendu en raison d’une lecture concomitante d’un article sur les notions d’accès et d’accessibilité.

« L’accessibilité sociale est parfois définie par la mise à disposition au sein des quartiers de services humains, de proximité et de médiation sociale destinés à faciliter la vie des usagers ; Il peut s’agir d’aide ponctuelle, non spécialisée, mais à n’importe quel moment, pour lever et réduire certains obstacles et permettre de mener une vie autonome ou simplement faciliter les conditions de vie de personnes susceptibles d’être fragilisées à un moment donné de la vie1. »

La lecture de ce passage indique que l’animation de rue peut être pensée comme un outil d’accessibilité sociale. Cette notion permet de revisiter le sens des animations de rue dans l’économie générale de la mise en œuvre de notre projet associatif sur les quartiers. Trois éléments parmi d’autres méritent d’être soulignés.

Rendre accessibles les actions par la circulation d’informations :

Si ces temps d’animation permettent de vivre des activités avec des enfants et des préadolescents du quartier, ils permettent également de communiquer auprès d’eux et de leurs parents. En effet, il est fréquent de rencontrer ces derniers aux abords des animations de rue dans la mesure où la plupart d’entre eux n’hésitent pas à venir nous saluer lorsqu’ils nous aperçoivent sur le terrain de jeux. L’expérience montre que ces rencontres informelles soutiennent la circulation d’informations sur les actions. L’information claire et reçue rend plus accessible voir utilisable l’action.

Rendre accessibles les actions par la présence :

Ensuite, ces animations régulières favorisent et consolident la présence de l’équipe du Valdocco dans l’environnement, les temporalités et l’entourage des habitants qui y participent. Cette présence synthétise et cristallise ce que la définition précédente appelle « services humains de proximité et de médiation sociale ». Inscrites dans l’ordinaire du quartier, l’expérience montre qu’elles deviennent sur le temps long point inaugural et portée de relations avec les habitants. Ceci est particulièrement vrai des liens avec ceux qui investissent la rue comme un espace de rencontres et de fraternité. Dans la mesure où elles permettent de porter des relations de confiance et d’alliance, ces animations rendent accessibles les autres actions du Valdocco car c’est par l’entremise de ces relations de qualité que jeunes et/ou parents s’en saisissent et les utilisent. Autrement dit, la qualité de la présence des membres de l’équipe durant ces animations de rue rend plus accessible voire utilisable les actions.

Rendre accessibles les actions par des pratiques de relais2 :

Comme l’indique la définition, l’accessibilité des services vise à faciliter la vie des jeunes et des familles rencontrées. Au Valdocco, l’animation de rue cherchent à favoriser l’accès à des activités plus structurantes car plus structurées, dans le domaine de l’animation (centre de loisirs, aide à la réalisation de microprojets d’adolescents, sorties culturelles ou de loisirs, etc. ) comme de l’accompagnement éducatif et scolaire (aide aux devoirs, soutien méthodologique, ateliers orientation). Pour le jeune, ces accès sont « réels3 » lorsqu’une relation éducative est nouée avec lui et sa mise en projet effectuée. Or, la présence régulière des membres de l’équipe en proximité géographique et en accessibilité relationnelle favorisent ces deux dimensions.

Au fil de ces animations, si un éducateur convainc un jeune par exemple de la pertinence qu’auraient des séquences d’accompagnement scolaire pour sa scolarité, s’il l’accompagne au local pour voir où il se situe et comment fonctionnent des séquences, et s’il parvient à contacter avec lui se(s) parent(s) en vue d’une prise de rendez-vous avec un collègue pour inscription, alors il pratique un relais. L’impact d’un tel relais est l’accès réel à une nouvelles action. Par conséquent, les animations de rue ayant permis ce relais contribuent à l’accessibilité de l’action vers laquelle il a orienté.

Au fond, par les informations qu’elles transmettent, par les impacts sur les liens et les lieux qu’elles opèrent, et par les relais qu’elles développent, ces animations de rue constituent de formidables leviers pour rejoindre le public, le mobiliser, et le faire accéder réellement aux actions. Elles participent donc d’une accessibilité sociale globale des actions du Valdocco. De ce fait, même si elles visent à accrocher des publics en périphérie des actions, elles ne peuvent devenir périphérique dans la mise en œuvre du projet. Finalement, la remarque spontanée de S. était tout à fait juste et a permis une réception renouvelée du projet du Valdocco.

1 Dans P. ROUSSEL et J. SANCHEZ, Habitat regroupé et situations de handicap, CTNERHI, Janvier 2008

2 Dans la suite des travaux de l’association Ecole et Famille, nous distinguons le passage du relais. A la différence du passage durant lequel un professionnel directement concerné par la situation transmet des informations à un autre professionnel peu ou pas encore concerné par la situation en dehors de toute présence de la famille, le relais s’opère entre deux professionnels en présence de la famille. Dans le relais, l’usager est précieux et participe à toutes les étapes du processus. Dans cette figure, « l’usager observe deux professionnels se demander de l’aide mutuellement et travailler leur complémentarité, opérer dans un champ de recouvrement. (S. HELLAL, De proche en proche. Proximité et travail thérapeutique de réseau en Algérie, Ed. Barzakh, Alger, 2008, p.151.) »

3 C’est-à-dire effectivement utilisés par les jeunes