C’est un adolescent passionné par le football. Comme tant d’autres de son âge. Une passion qui pourrait le détourner de sa scolarité ? Au contraire.

Jérémy* a pourtant de grandes difficultés à l’école. Difficultés qui n’ont pas manqué d’altérer les relations aux adultes et le climat familial. Tellement que cela a amené une mesure de placement au titre de l’Aide sociale à l’enfance. Au lieu de remplir son obligation scolaire en allant au collège, Jérémy va chaque jour dans un accueil de jour, un lieu dédié à la remédiation scolaire, pour des adolescents confiés par la Protection de l’enfance considérés comme “décrocheurs”.

Au sein d’Adoval, accueil de jour du Valdocco à Argenteuil, la passion de Jérémy pour le football est considérée avec intérêt par les équipes éducatives. Cette passion peut en effet être le support d’une pédagogie “de contournement”, que d’autres appellent “pédagogie du détour”. Une manière de mettre les jeunes au travail sans qu’ils aient l’impression de travailler. Autour du thème du football, Jérémy a pu apprendre beaucoup : la Coupe du Monde a été un sujet de choix pour aborder la géographie, les drapeaux, l’histoire et la culture de différents pays.

Cet exemple illustre combien, au Valdocco Adoval, la pédagogie est centrée sur les jeunes eux-mêmes. Il s’agit de partir de leurs réalités et de les considérer dans leur globalité : « Quand on dit jeune on le prend dans toute sa subjectivité : en tant que sujet qui réfléchit qui a des émotions, un jeune qui a un parcours, des choses acquises même s’il ne sait pas nous dire où il en est dans son apprentissage. »

Cette posture pédagogique, qui irrigue les pratiques du Valdocco, ne donne pas de recette toute prête à utiliser, ni un ensemble de postulats rigides à suivre à la lettre. La relation personnelle et la connaissance des éléments de curiosité d’un jeune sont des clés pour avancer : « je peux très bien faire quelque chose qui fonctionne entre moi et ce jeune-là mais la même chose ne fonctionnera pas entre vous et ce même jeune », précise Liliane.

De cette manière de faire découle une feuille de route riche en enseignements, tant sur le plan éducatif en général, que sur le plan de la lutte contre le décrochage scolaire. Ici, partir de la curiosité première d’un jeune et de ses centres d’intérêts à permis d’ouvrir progressivement vers d’autres apprentissages et d’apaiser les relations.

* le prénom a été changé

Quelques clés pour être un enseignant médiateur

Voici quelques points de repères, que Liliane, enseignante pour la deuxième année consécutive à Adoval, valorise dans sa pratique quotidienne et qu’elle a bien voulu nous faire partager.

Un temps d’accueil tu consacreras

« Quand je rencontre un jeune, la première chose à faire c’est l’accueil”. C’est un moment de partage et d’échange mais qui permet aussi à l’enseignant d’analyser et de trouver le fil conducteur qui permettra de proposer un projet adapté à chacun. En dehors de la première rencontre, Liliane souligne que l’accueil c’est aussi tous les jours, à chaque rencontre avec le jeune.

Un cours avec plusieurs scénarios tu prépareras

Dans un enseignement « classique », un enseignant prépare son cours et le fait. C’est à l’élève souvent de s’adapter à ce cours. A Adoval, il faut avoir plusieurs méthodes, plusieurs outils parce que ce que l’on a préparé peut ne pas fonctionner.

Ton rôle de médiateur tu rempliras

L’enseignant qui travaille au Valdocco Adoval est avant tout un médiateur enseignant. Il s’agit d’apprendre au jeune ce qui est implicite à l’école, tout ce qu’il n’a pas compris et que l’enseignant du collège n’a pas eu le temps d’expliquer et qui pourtant sont des automatismes nécessaires.

Le temps tu le géreras

« Il faut gérer le temps, les vibrations dans la salle, les encourager tout le temps… »

Connaître le temps de concentration des jeunes est essentiel pour ne pas les mettre en difficulté. L’idée est de ne pas donner des choses faciles, mais de s’adapter à leur rythme.

La finalité de chaque exercice tu expliqueras

Expliquer le but, la finalité de chaque activité facilite l’adhésion des jeunes. Comme pour les dictées : « Les jeunes en décrochage n’aiment pas écrire, il y a des jeunes qui arrivent ici qui n’écrivent jamais et pourtant qui font des dictées à Adoval ». Car on prend ici le temps de détailler les objectifs de l’exercice : travailler sa concentration, l’étude de la langue, acquérir des mots du vocabulaire…

Le 11 janvier 2019, François Le Clère est devenu Docteur en Sciences de l’Education, après un parcours de recherche de plusieurs années au sein de l’Université Paris VIII. Sa réflexion porte un regard original sur la notion de décrochage scolaire. Un travail étayé par ses années de pratique en tant qu’éducateur spécialisé, mais aussi clinicien et intervenant en analyse de pratiques auprès d’équipes éducatives. Sa recherche s’ancre aussi dans son implication au sein du Valdocco dont il est aujourd’hui Directeur général.

Questions-réponses sur un itinéraire de réflexion et de recherche qui va de la pratique à la théorie… et revient à la pratique.

François, d’où t’es venu le projet de faire une thèse à propos du décrochage scolaire ?

En 2009, j’avais déjà une dizaine d’années de pratique auprès d’adolescents, en tant qu’éducateur en prévention spécialisée, et je désirais gagner en distance critique par rapport au travail de terrain. Les phénomènes de « désarrimage » ou de déscolarisation des jeunes me posaient question. C’était une préoccupation éducative forte des équipes et, en même temps, il me semblait que la notion même de « décrochage » méritait d’être interrogée.

Comment es-tu passé de la pratique à la théorie ?

Je suis passé d’une posture de « chercheur de l’intérieur », à la posture du doctorant, rattaché à l’Université. Pour autant, je suis resté très proche de réalités de terrain, empruntant les modalités de la recherche-action. Mes interventions en analyse de pratiques auprès de professionnels de l’éducation ont nourri ma réflexion, notamment dans le cadre des programmes de réussite éducative en Seine-Saint-Denis ou encore avec l’association Ecole et Famille.

Il y a bien des fondements ou inspirations théoriques dans ton travail ?

Oui, bien sûr. Ma formation en psychanalyse tout d’abord, qui explique que j’aie choisi de faire une recherche d’orientation psychanalytique, au sein du CIRCEFT, un laboratoire de l’Université Paris 8. Mais aussi bien d’autres références, comme les travaux de Janine Filloux sur la relation éducative, les travaux de Michel Foucault sur l’institution, la réflexion de Jean-Marie Petitclerc sur l’éducation et la pédagogie de Don Bosco…

Avec cet éclairage, comment analyses-tu cette notion de « décrochage scolaire » ?

La difficulté d’un grand nombre d’adolescents par rapport à l’institution scolaire est une réalité, et pour autant, la notion de « décrochage » est à interroger. Je montre dans ma thèse l’évolution des concepts dans ce domaine : le « drop out », « l’échec » scolaire, le « décrochage »… Ces évolutions sémantiques disent quelque chose d’une manière de voir qui peut aussi conditionner les pratiques, voire parfois les réalités elles-mêmes. Le mot même de « décrochage » mobilise les éducateurs d’une manière particulière autour de la situation d’un adolescent : ceux-ci le situent comme désaffilié alors que ces adolescents, précisément, cherchent la relation.

En même temps, tu explicites largement cette notion dans ta thèse ?

Oui et je propose d’analyser le phénomène et les parcours de décrochage sous trois modalités :

  • comme un mode de socialisation divergente ;
  • comme des modes d’apprentissages alternatifs à l’école ;
  • comme des impasses de la relation éducative.

Au fond, ce qui m’a mobilisé dans mon travail de thèse, ce n’est pas tant la question du décrochage en lui-même, que le décrochage comme un objet où se travaille le lien éducatif.

Pourquoi donnes-tu une telle importance à la relation éducative ?

La relation est un moteur fondamental pour grandir. Comme l’a souligné la philosophe Dominique Ottavi lors de ma soutenance, situer la question du décrochage dans le registre de la relation, c’est chercher à comprendre les dynamiques par lesquelles nous pouvons aider ces adolescents. C’est mettre à distance la tentation d’enfermer l’éducation dans des processus trop normatifs ou attendus. C’est aussi relativiser mythe de l’autonomie des individus que la société nous propose.

Que veux-tu proposer aux professionnels du champs éducatif ?

A partir de mon travail de thèse, j’ai envie de leur lancer deux invitations :

  • ne pas s’enfermer dans une dramaturgie du décrochage mais considérer cette délicate période comme une opportunité de croissance pour les adolescents, un passage qui peut être constructif.
  • intégrer pleinement dans le travail éducatif le temps passé à conjuguer et harmoniser leurs interventions, parce qu’on accompagne pas un adolescent de manière isolée mais forcément en lien avec d’autres. Dans cette complémentarité réside une clé de l’accompagnement.

[Propos recueillis par l’équipe comm’ du Valdocco]