Le 11 janvier 2019, François Le Clère est devenu Docteur en Sciences de l’Education, après un parcours de recherche de plusieurs années au sein de l’Université Paris VIII. Sa réflexion porte un regard original sur la notion de décrochage scolaire. Un travail étayé par ses années de pratique en tant qu’éducateur spécialisé, mais aussi clinicien et intervenant en analyse de pratiques auprès d’équipes éducatives. Sa recherche s’ancre aussi dans son implication au sein du Valdocco dont il est aujourd’hui Directeur général.

Questions-réponses sur un itinéraire de réflexion et de recherche qui va de la pratique à la théorie… et revient à la pratique.

François, d’où t’es venu le projet de faire une thèse à propos du décrochage scolaire ?

En 2009, j’avais déjà une dizaine d’années de pratique auprès d’adolescents, en tant qu’éducateur en prévention spécialisée, et je désirais gagner en distance critique par rapport au travail de terrain. Les phénomènes de « désarrimage » ou de déscolarisation des jeunes me posaient question. C’était une préoccupation éducative forte des équipes et, en même temps, il me semblait que la notion même de « décrochage » méritait d’être interrogée.

Comment es-tu passé de la pratique à la théorie ?

Je suis passé d’une posture de « chercheur de l’intérieur », à la posture du doctorant, rattaché à l’Université. Pour autant, je suis resté très proche de réalités de terrain, empruntant les modalités de la recherche-action. Mes interventions en analyse de pratiques auprès de professionnels de l’éducation ont nourri ma réflexion, notamment dans le cadre des programmes de réussite éducative en Seine-Saint-Denis ou encore avec l’association Ecole et Famille.

Il y a bien des fondements ou inspirations théoriques dans ton travail ?

Oui, bien sûr. Ma formation en psychanalyse tout d’abord, qui explique que j’aie choisi de faire une recherche d’orientation psychanalytique, au sein du CIRCEFT, un laboratoire de l’Université Paris 8. Mais aussi bien d’autres références, comme les travaux de Janine Filloux sur la relation éducative, les travaux de Michel Foucault sur l’institution, la réflexion de Jean-Marie Petitclerc sur l’éducation et la pédagogie de Don Bosco…

Avec cet éclairage, comment analyses-tu cette notion de « décrochage scolaire » ?

La difficulté d’un grand nombre d’adolescents par rapport à l’institution scolaire est une réalité, et pour autant, la notion de « décrochage » est à interroger. Je montre dans ma thèse l’évolution des concepts dans ce domaine : le « drop out », « l’échec » scolaire, le « décrochage »… Ces évolutions sémantiques disent quelque chose d’une manière de voir qui peut aussi conditionner les pratiques, voire parfois les réalités elles-mêmes. Le mot même de « décrochage » mobilise les éducateurs d’une manière particulière autour de la situation d’un adolescent : ceux-ci le situent comme désaffilié alors que ces adolescents, précisément, cherchent la relation.

En même temps, tu explicites largement cette notion dans ta thèse ?

Oui et je propose d’analyser le phénomène et les parcours de décrochage sous trois modalités :

  • comme un mode de socialisation divergente ;
  • comme des modes d’apprentissages alternatifs à l’école ;
  • comme des impasses de la relation éducative.

Au fond, ce qui m’a mobilisé dans mon travail de thèse, ce n’est pas tant la question du décrochage en lui-même, que le décrochage comme un objet où se travaille le lien éducatif.

Pourquoi donnes-tu une telle importance à la relation éducative ?

La relation est un moteur fondamental pour grandir. Comme l’a souligné la philosophe Dominique Ottavi lors de ma soutenance, situer la question du décrochage dans le registre de la relation, c’est chercher à comprendre les dynamiques par lesquelles nous pouvons aider ces adolescents. C’est mettre à distance la tentation d’enfermer l’éducation dans des processus trop normatifs ou attendus. C’est aussi relativiser mythe de l’autonomie des individus que la société nous propose.

Que veux-tu proposer aux professionnels du champs éducatif ?

A partir de mon travail de thèse, j’ai envie de leur lancer deux invitations :

  • ne pas s’enfermer dans une dramaturgie du décrochage mais considérer cette délicate période comme une opportunité de croissance pour les adolescents, un passage qui peut être constructif.
  • intégrer pleinement dans le travail éducatif le temps passé à conjuguer et harmoniser leurs interventions, parce qu’on accompagne pas un adolescent de manière isolée mais forcément en lien avec d’autres. Dans cette complémentarité réside une clé de l’accompagnement.

[Propos recueillis par l’équipe comm’ du Valdocco]